Mercredi 31 août 2005 Hier Avant hier
Documents d'une journée sans queue ni tête,
ce qui n'empêche rien.

Dans le journal on résume la vie de J.M. par quelques phrases qui ne retiennent de ses 41 ans d'existence que le fait qu'il avait fait dans sa jeunesse du rugby au club local (RCNG) et qu'il avait participé aux Championnats de France de fléchettes de la Rochelle en 2003.
Drôle de raccourci pour une vie. Je l'avais rencontré plusieurs fois au bar le Poséidon où en effet il jouait aux fléchettes. Peut-être l'ai-je même dans les centaines de photos prises dans ce bar, mais je n'ai pas eu le courage de rechercher.
Le lendemain matin, de bonne heure, la rue avait été nettoyée, comme s'il ne fallait pas laisser de traces d'une mort choquante, brutale et injuste. Mais la mort peut-elle être autre chose quand elle n'est ni annoncée ni statistique ?
Il ne restait que ce bout de papier que j'ai ramassé dans le caniveau, mal à l'aise et triste.

Certes, ce livre était sans doute n'importe quoi en tant que livre, et ce bout de papier n'était aussi qu'un bout de papier. Mais une émotion très forte me tenaillait : ce morceau de papier avait sans doute été parcouru une fois par son regard, et son destin était donc de finir ramassé par quelqu'un dans un caniveau, portant les marques indélébiles d'une mort accidentelle, peut-être les seules (quand on voit qu'il ne reste absolument rien de l'espace où il vivait) qui resteraient de la vie d'un homme.
Je fais un scanner de deux photos que ma mère vient de retrouver en faisant du rangement :
- une photo de sa mère, celle que nous appelions " Mémère de Senonches ",
- une photo de mes frères et moi, avec notre chienne Biscotte que l'on appelait " Bibi ", prise dans la maison de Senonches, celle " du haut ", qui appartenait aussi à ma grand-mère, qui elle habitait dans " la maison du bas ".
Impossible de me souvenir qui a pris cette dernière photo, ni sa date exacte, (dans les années 56-57 ? quand mon père travaillait encore sur la base aérienne dont je parlais samedi et dimanche, Crucey, située entre Brézolles et Maillebois.)
Ce jardin avec les cages à lapin dans le fond, la trottinette...
Il n'y a en fait que mon frère Michel et moi qui regardons l'objectif...
Comment supporter son regard aujourd'hui ?
Ah, ces regards ! Quel mystère contiennent-ils et quel mystère les contient ?
Et quel gouffre aujourd'hui...

Ne sont-elles vraiment QUE des photos de famille ?
Ne portent-elles pas les années 50, avec leurs chemises à carreaux et leurs satanées blouses qu'il fallait toujours mettre pour-ne-pas-se-salir , et le jardin, si important à l'époque pour les familles pas très riches ? Ne sentent-elles pas la lessive à la main des mères et cette fameuse odeur du repassage des après-midi silencieux?
Quant à la seule photo à ma connaissance du Grand-père maternel, prise vers 1916, avant son départ pour Salonique, ne contient-elle pas cette guerre de 14 qui allait bouziller tous ses figurants ?

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