Lundi 09 mai 2005 Hier Avant hier
Suite à mes pages sur Louis Soutter et Sylvain Fusco, j'ai reçu de nombreuses réactions et je dois donc apporter certains éléments que ces mails m'ont bénéfiquement apportés.
Le cas des 48.000 morts dans les hôpitaux psychiatriques français pendant la seconde guerre mondiale est l'objet d'une polémique et reste un sujet "chaud". je l'avais d'ailleurs signalé dès la première fois où j'ai prononcé le nom de Sylvain Fusco (" Sylvain Fusco, bien sûr, incroyable, détonateur, toujours cité dans cette polémique incroyable sur les 48 000 personnes qui sont décédées...")., À propos de Louis Soutter, j'avais aussi indiqué : "souvent classé dans "l'art brut", catégorie où l'on met trop vite à mon avis certains peintres, tout simplement parce qu'ils sont inclassables et qu'on ne sait pas où les mettre et qu'il faut tout classer..."

1- Coïncidence, (en passant) : dans le Monde des livres de vendredi dernier, Charles Juliet, dans l'article qui lui est consacré fait référence à cette histoire, qui a été déterminante selon ses dires. On sait que Lambeaux, est un récit autobiographique dans lequel il évoque sa mère qu’il n’a pas connue - morte de faim après huit ans d’enfermement abusif en hôpital psychiatrique - et le rôle que, malgré cette absence, ou à cause de cette absence, elle a joué dans sa vie d’homme et dans sa formation d’écrivain.

Passons maintenant à différentes réactions qui donnent à penser, ou à préciser chacun sa pensée.

2- Artistes et enfermement . "Bien sûr, il faut parler de tout çà sur le NET et votre méthode me convient : une prospection en attire une autre. Par contre il faut essayer d'éviter l'écueil de getthoïser à nouveau les artistes qui ont eu la malchance d'attirer les psychistes patentés de leur époque. Je prône à mon niveau la banalisation du symptôme qui doit être restitué à la communauté malgré la pression toujours active de vouloir séparer le bon grain de l'ivraie.J'ai toujours été sidérée de constater que l'on ne prend jamais garde du fait qu'il ya beaucoup plus de dangerosité dans les faits divers et dans les guerres ( que d'exactions impunies ! )qu'à l'intérieur des établissements psychiatriques."

3- "L'extermination douce" au Vinatier pendant la guerre. : " Isabelle von Bueltzingsloewen, historienne, s'est penchée sur les archives de l'hôpital du VINATIER et a sinon invalidé tout au moins relativisé certaines thèses tendancieuses sur la connivence avec l'ennemi dans la négligence subie par les patients internés sous l'occupation. Les responsabilités sont partagées entre tous les acteurs de cette époque qui n'ont pas su réagir (comme à ST ALBAN) par exemple devant l'absurdité du système de rationnement, le sauve-qui-peut ( autrement dit "chacun pour sa pomme", et le démantèlement notoire de l'activité de la ferme dû notamment à la mobilisation du Chef de culture et de ses assistants (n'oublions pas non plus que les équipes étaient composées de "malades travailleurs" dont l'encadrement masculin a été lui aussi mobilisé). Le marché noir a fonctionné là, comme partout ailleurs, et le personnel sous payé ne s'est sans doute pas privé de prélever tout ce qu'il a pu au détriment des patients..(No comment). L'enfermement , la promiscuité, le froid, les maladies infectieuses comme la Tuberculose ont largement contribué au péril des malades présents."

4-Fusco, et les autres... j'avais dit hier qu'un lecteur m'avait écrit à propos de Fusco :"Je ne trouve pas à ses peintures un grand intérêt... Chaissac est tellement plus fort émotionnellement, nous apprend beaucoup plus sur nous, sur les relations humaines et nous concerne tellement plus..." Ai reçu plusieurs réactions :
- "Ça dénote juste ce même préjugé qu’on a avec les ateliers d’écriture: ces types sont des sous-peintres à leurs yeux, comme s’il y avait une légitimité sociale pour être artiste. Non, Chaissac est aussi grand que Soutter ou Fusco etc....et aussi grands que Dubuffet ou Hélion ou Klein, simplement parce qu’il n’y a pas d’altimètre. Ces types, Chaissac, Soutter, travaillent dans notre origine, c’est ça leur culot et là où ils doivent travailler sur eux, en s’incarnant dans la figure même de ce “travailleur obstiné”."
- "Fusco a fait partie de ces cohortes de malheureux dont le destin a été confisqué au seuil des murs de l'aliénation mentale et sociale. Dans votre évocation, vous n'avez pas souligné que FUSCO est devenu mutique après son internement, un peu comme Camille CLAUDEL qui a refusé de sortir de son apragmatisme après son internement forcé et son transfert à Montdevergues."
-" Les Artistes ont toujours le dernier mot, même s'ils n'utilisent pas les mots. Ils sont des subversifs radicaux"
- Et puis quelqu'un m'a envoyé aussi juste une citation d'André Dartevelle, cinéaste et réalisateur belge : " Dans le milieu de l'Art on pense qu'aucune grande oeuvre, aucun grand artiste ne peut passer inaperçu. C'est faux. Il y a beaucoup de créateurs qui restent méconnus et dont l'oeuvre disparaît en silence. Je crois qu'il faut s'intéresser aux marges de la société. Cela devrait être la responsabilité morale et politique de tous les intellectuels."

5- Le Centre du Vinatier. Il ne faut bien sûr ne pas amalgamer ce qui s'est passé au Centre du Vinatier pendant la guerre, avec ce qu'il est aujourd'hui, à savoir le second hôpital français après St Anne en taille. Un véritable archipel de services ayant peu de relations entre eux et placés sous le régime de la non-mixité (les hommes au sud, les femmes au nord).
Depuis 1997, la Ferme du Vinatier développe et met en œuvre un projet culturel dont la caractéristique est de constituer un interface original entre l’hôpital et la cité. Cette structure, intégrée au Centre hospitalier psychiatrique Le Vinatier (Lyon-Bron), inscrit son action dans le cadre du programme national "culture à l’hôpital" né en 1999.
Je vous conseille d'aller y voir l' exposition virtuelle " Avez-vous donc une âme ?), diaporama d'une exposition qui s’y est tenue d’octobre 2002 à décembre 2003 (avec une nouvelle version en mars 2005) sur le thème des objets personnels dans l’institution hospitalière psychiatrique. "800 objets rangés, classifiés, étiquetés, somnolaient dans les sous-sols de l’hôpital, certains depuis 1920. Leurs propriétaires les ont confiés, bon gré, mal gré, aux bons soins de l’établissement psychiatrique en même temps que leur santé mentale. Ils sont 800 objets privés mis en lumière après avoir constitué le point de départ d’interrogations et d’explorations collectives d’historiens, d’ethnologues, de psychiatres, … Interrogation sur ces existences singulières trop souvent réduites à leur seule particularité d’avoir été brisées par la maladie mentale. Interrogation sur le rôle joué par les objets quotidiens dans la structuration psychique et le rapport au monde de chacun. Interrogation concernant la prise en compte par l’hôpital de l’importance des objets personnels et des effets de leur substitution par des objets communs."
(Je sais que notre amie Marie Pool (connue chez tous nos blogs amis) s'était beaucoup investie dès la création en 97 : et qu'elle avait contribué à l'étape du recueil des "mémoires". Comme elle le dit elle-même : "La FERME du VINATIER s'est entourée de cautions médiatiques, scientifiques et universitaires, c'est la raison de sa pérennité. Il n'empêche, la FERME n'existerait pas si nous n'avions à quelques uns porté le projet malgré le scepticisme et les jalousies qui n'ont pas manqué d'affluer. Aujourd'hui le "devoir de mémoire" , la réhabilitation de la parole des malades et de leurs soignants à parts égales ne soulève plus d'objection et c'est une victoire certaine sur les préjugés...Reste à faire la même chose à l'extérieur et là c'est pas gagné !")
Mais allez y voir aussi les programmes passés (la grange) et futurs (fruits de saison), c'est quelque chose !

6- L'idiot de Nogent.
J'ai reçu aussi beaucoup d'autres mails, mais que je n'ai pas eu le temps d'ouvrir. Que tous ces gens soient remerciés : Eddy Kearney, Elizbeth Michaele, Jackie Whitney, Andrea Lake, Jeannine Juarez, Antonia Huddleston, Kristie Mohr, Arturo Manuel, Becky Reeves, Tyrone Wheeler ...et une vingtaine d'autres. Je ne savais pas que ma page était aussi lue... merci, merci à tous.