Journal de Jean-Claude Bourdais
PREMIER CYCLE (1er nov. 2004 au 8 février 2005) .................................. (100 jours, cf. journal du 8 février)
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Novembre 2004
Décembre 2004
Janvier 2005
février 2005
DEUXIEME CYCLE (9 février 2005 au 21 mars 2005) .......... .................... (jeu de 50 perles de verre)
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février 2005
mars 2005
TROISIEME CYCLE (commencé le 22 mars 2005)
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mars 2005
Dimanche 27 mars 2005
Dimanche de Pâques chrétiennes. On avance les montres et les horloges d'une heure.
On fait les cloches, c'est bien le cas de le dire, dans le jardin d'Edouard et Martine. Pour faire plaisir aux filles bien sûr, surtout pour Charlotte qui est prête encore à croire tout ce qu'on raconte, surtout si c'est pour se gaver de chocolat après.
Martine a dressé une très belle table dans les verts et bleus. Salade roquette, bouquet de violettes du jardin et de muscaris, petite liliacée à bulbe dont la floraison indique que le printemps est là.
Elle nous a préparé, quelle attention, un plat de flageolets carottes pour accompagner l'agneau... pascal évidemment.
Il me semble que c'est la première fois que je m'adonne à la tradition de cet agneau symbole du Christ ressuscité pour les premiers Chrétiens. (L'Apocalypse utilise 28 fois le mot agneau pour désigner le Christ.)

Et verrai-je le bois jaune et le val clair,
L'Épouse aux yeux bleus, l'homme au front rouge, ô Gaule,
Et le blanc Agneau Pascal, à leurs pieds chers,
- Michel et Christine, - et Christ ! fin de l'Idylle.

(Arthur Rimbaud, Michel et Christine dans Vers nouveaux)

Je ne sais pas si c'était la recette du registrum coquine, manuscrit italien de la première moitié du XVème siècle, mais c'était bon.
Quant à l'agneau, c'est celui du retable d'Issenheim, de Matthias Grünewald,(1455-1528), que je ne manque par d'aller découvrir à Colmar, quand je vais voir Véronique et Pascal.
Car si vendredi je n'ai pas cité la crucifixion de Grünewald, étant pourtant celle qui m'impressionne le plus, c'est que j'attendais aujourd'hui, jour de Pâques, jour de la résurrection, pour vous montrer les deux en même temps.
Le retable est une œuvre infinie. On pourrait y consacrer un site complet, tant d'études, de livres ont été faits dessus sans jamais en faire le tour. La crucifixion se voit quand le retable est fermé, la résurrection quand le retable est ouvert, sur le panneau de droite.
Juste cet extrait pour souligner la puissance de la figure formée par le patibulum courbé vers le bas par le poids du corps de la mort et de la souffrance, opposé au V formé par les bras, avec les doigts tendus vers le haut qui repartent dans toutes les directions démultipliant le cri d'espoir...
Si nous avions cité Bacon et son discours sur la "viande", rarement un peintre a été aussi loin à son époque dans le traitement du corps.
La chair est avariée,
les plaies sont purulentes,
déjà vertes.
Il s'agit d'un vrai corps,
non pas transfiguré
mais défiguré, boursouflé,
celui d'un homme mort,
et qui " sent " déjà.
Les muscles sont déchirés,
le diaphragme est bloqué,
prouvant bien que la crucifixion tue par asphyxie.
Il faut lire la description faite par J.K.Hyusmans dans là-bas :
"...Démanchés, presque arrachés des épaules, les bras du Christ paraissaient garrottés dans toute leur longueur par les courroies enroulées des muscles. L’aisselle éclamée craquait ; les mains grandes ouvertes brandissaient des doigts hagards qui bénissaient quand même, dans un geste confus de prières et de reproches ; les pectoraux tremblaient, beurrés par les sueurs ; le torse était rayé de cercles de douves par la cage divulguée des côtes ; les chairs gonflaient, salpêtrées et bleuies, persillées de morsures de puces, mouchetées comme de coups d' aiguilles par les pointes des verges qui, brisées sous la peau, la dardaient encore, çà et là, d' échardes. L' heure des sanies était venue ; la plaie fluviale du flanc ruisselait plus épaisse, inondait la hanche d' un sang pareil au jus foncé des mûres ; des sérosités rosâtres, des petits laits, des eaux semblables à des vins de Moselle gris, suintaient de la poitrine, trempaient le ventre au-dessous duquel ondulait le panneau bouillonné d' un linge..."
Représenter la résurrection est difficile. L'événement, par sa définition, échappe à toute présence, à tout passage au présent : les Évangiles sont très discrets sur l'événement lui-même, et n'en proposent aucune description. les témoins de la résurrection ont été appelés à contempler un tombeau vide : Marie-Madeleine, les femmes, Pierre et Jean. Ils ont pu constater qu'un événement avait eu lieu, sur le mode de la disparition. Mais ils n'ont rien vu. De l'absence , ils ont déduit la présence du Ressuscité, du tombeau vide, ils sont passés à la gloire de Pâque.
Pour un peintre, essayer de représenter cet irreprésentable, de donner à voir ce qui échappe à tout regard mortel est donc hardi pour ne pas dire osé ou culotté.
La résurrection de Grünewald est en cela fantastique. Huysmans dans Trois primitifs revient sur ce retable et en particulier sur la résurrection et montre le tour de force de Grünewald : suppléer par le jeu des couleurs à l'impuissance des formes.
Pour lui Grünewald est " le peintre le plus audacieux qui ait jamais existé, le premier qui ait tenté d'exprimer, avec la pauvreté des couleurs terrestres, la vision de la divinité mise en suspens sur la croix et revenant, visible à l'oeil nu, au sortir de la tombe. Nous sommes avec lui en plein hallali mystique, devant un art sommé dans ses retranchements, obligé de s'aventurer dans l'au-delà plus loin qu'aucun théologien n'aurait pu, cette fois, lui enjoindre d'aller."
...
"le sépulcre s'ouvre, des soudards casqués et cuirassés sont culbutés et gisent l'épée à la main, au premier plan; l'un d'eux, plus loin, derrière le tombeau, pirouette sur lui-même et, la tête en avant, culbute, et le Christ surgit, écartant les deux bras, montrant les virgules ensanglantées des mains."
Un Christ blond, avenant et robuste, aux yeux bruns (..) et de ce corps qui monte des rayons effluent qui l'entourent et commencent d'effacer ses contours; déjà le modelé du visage ondoie, les traits s'effument et les cheveux se disséminent, volant dans un halo d'or en fusion; la lumière se déploie en d'immenses courbes qui passent du jaune intense au pourpre, finissent dans de lentes dégradations par se muer en un bleu dont le ton clair se fond à son tour dans l'azur foncé du soir.[...] On assiste à la reprise de la divinité s'embrasant avec la vie, à la formation du corps glorieux s'évadant peu à peu de la coque charnelle qui disparaît en cette apothéose de flammes qu'elle expire, dont elle est elle-même le foyer.[...] Et l'artiste qui osa ce tour de force a joué beau jeu. Il a vêtu le Sauveur et tâché de rendre le changement de couleurs des étoffes se volatilisant avec le Christ; la robe écarlate tourne au jaune vif, à mesure qu'elle se rapproche de la source ardente des lueurs, de la tête et du cou, et la trame s'allège, devient presque diaphane dans ce flux d'or; le suaire blanc qu'entraîne Jésus fait songer à certains de ces tissus japonais qui se transforment, après d'habiles transitions, d'une couleur en une autre : il se nuance d'abord, en montant, de lilas, puis gagne le violet franc et se perd enfin, ainsi que le dernier cercle azuré du nimbe, dans le noir indigo de l'ombre."
La Résurrection peinte par El Gréco, visible au Musée du Prado, à Madrid, est tout aussi étonnante ;
Il n'y a plus de tombeau. le Christ, jeune et sans traces de la crucifixion, est tout en hauteur, étiré par le mouvement, exagérément grand. L'originalité et le génie du peintre est de donner une grande importance aux soldats. Nombreux, surpris dans leur sommeil, ils sont nus, éblouis par la lumière et leurs mouvements qui semblent désordonnés ne le sont pas : tous leurs membres, pieds ou bras, et l'extension de leurs corps, montrent une attirance, une aspiration incontrôlables et irrépressibles vers le haut.

C'est autre chose quand même que la résurrection de Rubens qui du coup semble là presque en manque d'inspiration, en tout cas d'originalité !
Représenter la résurrection, l'irreprésentable, semble être une gageure et pourtant ils sont nombreux à avoir essayé, de Giovanni Bellini à Brueghel le Vieux, de Fra Angelico à Maurice Denis, de Pierro della Francesca à Rembrandt...
Le plus difficile reste d'y croire. On connaît le cas de Thomas, un des Douze, qui n'étant pas là le jour J n'avait " rien vu " et ne voulait rien entendre. "Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt à l'endroit des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas"(Jean 20, 25)
On connaît la suite et le succès de l'histoire. Les peintres là encore, en ont une fois de plus donné des versions différentes.

Extrait d'une conférence de l'aumonerie de l'ENS rue d'Ulm, très intéressante :

" Le Caravage est le plus réaliste : le Christ dénude son torse de la main droite. De la main gauche, il a saisi la main droite de Thomas, dont l'index tendu pénètre dans la plaie du côté, soulevant la lèvre supérieure. L'apôtre est au premier plan, le visage ridé d'étonnement plus que de vieillesse, avec cet air populaire et rustre que le Caravage a aimé donner aux apôtres. Il a plaqué sa main gauche sur la hanche, comme s'il avait un peu de mal à se baisser. Le geste est appliqué, le regard attentif : c'est la vie même de Thomas qui est en jeu dans cette vérification anatomique. Le Caravage est allé le plus loin dans le réalisme : ce gros doigt qui fouille la plaie a quelque chose de choquant, d'indécent."
" Comme à l'accoutumée, Rubens est le plus léger. Le torse dénudé du Christ est un torse d'athlète, qui ne porte pas de plaie au côté ; d'un geste large, ouvrant les bras, il montre la trace des clous, visible dans la main gauche, discrète, presque effacé. Trois disciples sont présents, deux d'entre eux regardent avec curiosité, tandis qu'un des deux écarte sa main de celle du Christ. Un tableau serein, bien équilibré dominé par l'anatomie magnifique du Christ au premier plan."


remarque : ce panneau de bois peint vers 1613-1615 fait partie d'un tryptique, visible au Koninklijk Museum voor Schone Kunsten d'Anvers.
" Rembrandt s'est appliqué comme d'habitude à rendre le mystère [...] Il n'a pas fixé le moment de l'exploration anatomique, mais il représente la profession de foi de Thomas : dans le tableau du musée Pouchkine de Moscou, le Christ, soulevant le linge qui le couvre, désigne la plaie de la poitrine. La Vierge et les apôtres entourent le groupe central. A la droite du Christ, ils regardent la scène ; sur sa gauche, l'un d'entre eux détourne les yeux, les mains jointes en prière. Plus fortement encore, au premier plan, Jean semble profondément endormi. Car le voyant n'a pas à regarder ce qu'il voit les yeux fermés. Thomas est presque à la hauteur du Christ, en haut des marches. Il a un geste de recul, écartant les mains et rejetant le corps en arrière : mon Seigneur et mon Dieu !, est-il en train de s'écrier."
J'aime beaucoup Thomas et je peux m'y projeter à ravir : il est à la fois l'incrédule et le croyant, le négateur et l'adorateur. En grec il s'appelle Didyme, le jumeau. Or jamais dans les Évangiles, l'autre (le frère jumeau ou la sœur jumelle) n'apparaît .
C'est chacun de nous qui l'est bien sûr.
L'autre... Je un est autre...quand on est gémeaux comme moi...ça cause...Castor et Pollux, la part de l'un, la part de l'autre...
Revenons justement à Nogent le Rotrou, où de retour chez lui, il recevait ses amis d'Evreux, Valérie et Frédéric, le " célèbre " diététicien dont il a déjà parlé dans son journal, avec un autre Frédéric (photographe) et sa compagne, amis communs.
Repas d'adieu pour un certain temps puisque mon médecin favori n'a rien trouvé de mieux que tout larguer, cabinet et maison, et de partir, avec femme et enfants, dans une semaine à saint-Pierre et Miquelon !
Discussions sur tout jusqu'à deux heures du matin. Fruits de mer et bons vins. En particulier, le plus prestigieux des vins de Moulis en Médoc : le Chasse-Spleen.
l'histoire se partage quant à l'origine de son nom si approprié à cette soirée.
Même si Lord Byron grand mélancolique en ballade dans le coin en aurait retrouvré la belle humeur, il est plus vraisemblable que ce nom soit du à Charles Baudelaire. En 1857, paraissent ses "Fleurs du Mal ". Une partie de l'oeuvre s'intitule " Spleen et idéal ". Or, Odilon Redon qui a illustré le recueil de poème est également un des voisins du Château. Bien que la légende prête à Baudelaire la paternité de ce joli nom lors d'un séjour au Château, il semble bien que c'est le célèbre peintre qui ait fait le lien entre ce vin-ci et l' " Ideal " du poète.
Le plus étonnant est qu'en haut de l'étiquette il y avait le célèbre premier vers de Brise marine de Mallarmé : " La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres."
On ne pouvait trouver mieux pour illustrer la soirée.
Frédéric a dit : " C'est pour cela que je pars à Saint-Pierre et Miquelon !"
J'ai ajouté : " C'est pour cela que je suis venu à Nogent le Rotrou!"

La chair est triste, hélas! et j'ai lu tous les livres.
Fuir! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux!
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
O nuits! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature!
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs!
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots!


Un des premiers dimanches à Nogent que je ne vois pas passer comme un dimanche !
Il faudra que je le note
!